Biram Dah Abeid : Une croisade contre
l’injustice en Mauritanie
Biram Dah Abeid : Une croisade contre
l’injustice en Mauritanie
Par Mamadou Sow, pour La Chaîne Soninke et TV Touba
Dans une interview percutante diffusée sur YouTube sous le titre « BIRAM DAH ABEID : “LE
POUVOIR D’EL-GHAZOUANI EST À L’IMAGE DE L’INJUSTICE” », Biram Dah Abeid, figure
emblématique de la lutte contre l’esclavage et les discriminations en Mauritanie, dresse un
réquisitoire implacable contre le régime du président Mohamed Ould Cheikh El-Ghazouani. En tant
que leader de l’Initiative pour la Résurgence du Mouvement Abolitionniste (IRA) et candidat aux
élections présidentielles de 2014, 2019 et 2024, Abeid expose une vision sans concession d’un pays
miné par la corruption, la répression politique, l’esclavage persistant et les divisions ethniques
orchestrées par un pouvoir qu’il qualifie de prédateur. Cet article, inspiré par son intervention,
explore les multiples facettes de son discours, depuis la lutte contre l’esclavage jusqu’à la critique
de la gouvernance, en passant par les relations régionales et la quête d’unité nationale.
Un système de division pour régner
Biram Dah Abeid commence par dénoncer un système politique en place depuis le coup d’État de
1978, qui, selon lui, prospère sur la division des Mauritaniens. Composée de communautés diverses
— Arabo-Berbères, Pulaar, Soninke, Wolof et Haratin —, la société mauritanienne est, d’après
l’activiste, manipulée par une propagande d’État qui attise le racisme et les tensions ethniques. « Le
pouvoir utilise l’arme de la division pour régner », affirme-t-il, pointant une stratégie visant à
neutraliser la force collective du peuple en dressant ses composantes les unes contre les autres.
Cette division, ancrée dans des incitations au racisme, garantit, selon lui, la longévité d’un régime
qui échoue sur tous les fronts : économie, santé, éducation, agriculture et infrastructures.
Le tableau qu’il dresse est sombre : un peuple mauritanien « agonisant » sous le poids de la
pauvreté, du chômage, du manque de soins et d’infrastructures. Abeid appelle à une unification du
peuple contre un ennemi commun : un pouvoir qu’il qualifie de « prédateur des droits ». Son
message, adressé lors d’une récente visite aux États-Unis, s’est concentré sur la mobilisation de la
diaspora mauritanienne, qu’il considère comme un acteur clé en raison de son rôle économique et
social au sein des communautés restées au pays. « J’ai expliqué que le peuple doit être uni contre
son seul adversaire : le gouvernement », déclare-t-il, soulignant l’écho positif de cet appel auprès
des Mauritaniens de l’étranger.
L’esclavage : Une réalité persistante et impunie
Au cœur du combat de Biram Dah Abeid se trouve la lutte contre l’esclavage, une pratique
officiellement abolie en Mauritanie en 1981 mais toujours ancrée dans la société. Selon ses
estimations, plus de 20 % de la population, principalement dans les communautés arabophones, vit
encore en situation d’esclavage. Ces personnes, souvent des Haratin, naissent propriété d’autres,
sont vendues, gagées ou louées, et travaillent sans salaire ni repos. Pire encore, leurs documents
d’état civil, lorsqu’ils existent, sont confisqués par leurs maîtres, qui les utilisent pour manipuler les
votes lors des élections.
Abeid dénonce une « mauvaise volonté » des autorités à appliquer les lois anti-esclavagistes,
pourtant inscrites dans le droit national et international depuis 2007. Il accuse les institutions
judiciaires et les agences nationales, comme l’Agence Mauritanienne contre la Traite des Personnes,de complicité avec les esclavagistes. Ces institutions, financées à coups de milliards d’ouguiyas,
produiraient des rapports falsifiés pour minimiser la réalité de l’esclavage et protéger les coupables.
« Les juges, les officiers de police judiciaire et les gouverneurs ont pour consigne de cacher
l’esclavage », affirme-t-il, révélant une justice communautaire biaisée qui punit sélectivement les
pratiques esclavagistes dans les communautés non arabes, comme les Soninke, tout en ignorant
celles des Arabo-Berbères.
Particulièrement alarmant est le sort des femmes et des filles esclaves, victimes de viols et de
maltraitances en toute impunité. Abeid appelle à une « lutte de masse » pour que toutes les
communautés mauritaniennes s’approprient le combat contre l’esclavage, condition sine qua non
pour ramener « un cinquième de la population à l’humanité ».
Une gouvernance en panne et une démocratie confisquée
Biram Dah Abeid ne mâche pas ses mots lorsqu’il évoque la gouvernance sous Ghazouani, qu’il
qualifie de « nulle » et marquée par une régression généralisée. Malgré les richesses naturelles du
pays — or, fer, pêche, et récemment gaz, avec une production annuelle de 2,5 millions de tonnes qui
place la Mauritanie au 11e rang mondial des exportateurs —, la corruption endémique, ou « gabégie
», empêche tout développement. « Les mêmes gabégistes qui ont volé sont recyclés par l’État »,
déplore-t-il, soulignant l’absence de poursuites contre les responsables de détournements de fonds
publics. Cette impunité, couplée à une dette croissante qui hypothèque l’avenir des générations
futures, plonge le pays dans une crise économique et sociale profonde, marquée par l’insécurité, la
délinquance et l’exode des jeunes.
Sur le plan politique, Abeid dénonce un régime illégitime, né d’un coup d’État en 2008 et maintenu
par des « coups d’État électoraux ». Il accuse Ghazouani et son prédécesseur, Mohamed Ould Abdel
Aziz, d’avoir verrouillé le système démocratique en interdisant les partis d’opposition, en censurant
les médias et en réprimant les manifestations. Depuis 2019, il recense 12 morts imputables à la
police politique, dont des cas à Kaedi et pendant le confinement lié au Covid-19, sans qu’aucune
enquête ou autopsie ne soit menée. « Le droit est verrouillé », assène-t-il.
En 2019-2020, Abeid avait tenté un rapprochement tactique avec Ghazouani, dans l’espoir de
pousser des réformes démocratiques : reconnaissance des partis d’opposition, accès équitable aux
emplois publics, recensement électoral juste et indépendance des institutions comme le Conseil
constitutionnel. Mais cet accord, saboté par le pouvoir et une partie de l’opposition, n’a pas abouti,
renforçant sa conviction que le régime refuse toute démocratisation véritable. Refusant de participer
à un dialogue politique qu’il juge « taillé sur mesure » pour légitimer Ghazouani, Abeid exige des
préalables : liberté des partis, accès universel aux documents d’état civil et justice pour les victimes
de la répression.
Les femmes, victimes d’une double discrimination
La situation des femmes mauritaniennes, en particulier des femmes noires, est un autre point central
du discours d’Abeid. Il dénonce l’inaction face aux féminicides et aux violences sexuelles, citant
des cas comme celui d’Awat Traore, une jeune mère assassinée en mai 2025, dont la police a sali la
mémoire dans un communiqué insultant. Une loi visant à protéger les femmes et les filles, bloquée à
l’Assemblée nationale, illustre l’alignement du pouvoir avec des groupes extrémistes opposés aux
droits des femmes. « La justice et la police mauritaniennes personnifient la discrimination raciale »,
affirme-t-il, notant que les crimes contre les femmes noires sont systématiquement ignorés.Abeid propose l’adoption de lois inspirées des démocraties occidentales, comme celles en vigueur
en France ou au Canada, pour protéger les femmes. Mais il insiste sur le manque de volonté
politique, aggravé par une entente tacite entre le régime et des mouvements extrémistes violents, qui
freine toute réforme progressiste.
Une politique étrangère controversée
Sur le plan régional, Abeid critique la politique migratoire de la Mauritanie, accusée de
« négrophobie » pour son traitement des migrants subsahariens. En échange d’une subvention de
200 millions d’euros de l’Union européenne, le gouvernement expulse des migrants, notamment
maliens, vers des pays comme le Sénégal, parfois sans respecter leur nationalité. Cette politique, qui
fait de la Mauritanie un « gendarme » de l’UE, compromet ses relations avec ses voisins africains et
nuit à son image au sein de l’Union africaine. Abeid plaide pour une coopération respectueuse,
notamment avec le Sénégal, dans des secteurs comme le pétrole et le gaz, tout en rejetant l’idée que
la Mauritanie sacrifie son identité africaine pour des intérêts européens.
Il regrette également l’absence de la Mauritanie dans la compétition régionale pour attirer les
investissements, notamment face à des pays comme le Maroc, le Sénégal ou le Togo. Le manque
d’État de droit, où les litiges commerciaux ne sont pas protégés par une justice impartiale, dissuade
les investisseurs, malgré les immenses potentialités économiques du pays.
Une vision pour l’unité et la culture
Face à ces défis, Abeid prône une unification du peuple mauritanien, transcendant les clivages
ethniques et sociaux. Son mouvement, qui a vu son soutien électoral passer de 8 % en 2014 à 22 %
en 2024, s’appuie sur un programme inclusif et une présence active dans les villages, les villes et la
diaspora. Il insiste sur le rôle de la culture comme levier de réconciliation nationale, regrettant
l’absence de politiques culturelles pour valoriser les arts et les talents mauritaniens.
« L’épanouissement d’un peuple se mesure à son épanouissement culturel », déclare-t-il, appelant à
un projet national qui redonne leur place aux créateurs.
Sur la scène internationale, Abeid milite pour une reconnaissance des discriminations et de
l’esclavage en Mauritanie, en particulier dans le monde arabo-musulman. Il critique le silence
historique sur la traite arabo-musulmane et interafricaine, éclipsée par l’accent mis sur la traite
occidentale. Grâce à ses voyages et distinctions internationales, il cherche à connecter la lutte
mauritanienne aux mouvements mondiaux pour les droits humains, tout en mobilisant la diaspora
noire à travers l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie.
Un appel à l’Afrique et au changement
En conclusion, Biram Dah Abeid lance un appel vibrant aux Africains, et en particulier à la
jeunesse, pour qu’ils soutiennent les peuples en détresse, comme celui de Mauritanie, victime d’un
« génocide impuni » et d’une gouvernance défaillante. Il critique l’Union africaine et la CEDEAO
pour leur passivité face aux dérives des « fausses démocraties » africaines, illustrées par
l’émergence de l’Alliance des États du Sahel (AES). Pour lui, ces échecs reflètent l’incapacité des
élites corrompues à sécuriser leurs populations et à gérer les ressources de manière transparente.
Malgré les obstacles, Abeid reste optimiste quant à un changement démocratique d’ici 2029, tout en
avertissant que les errances du régime Ghazouani pourraient précipiter une crise avant la fin de sonmandat. « Que Dieu protège la Mauritanie », conclut-il, exhortant ses compatriotes à rester vigilants
pour une transition pacifique par les urnes.
Cet entretien, d’une densité rare, révèle la détermination d’un homme qui, malgré les menaces et les
emprisonnements, continue de porter la voix des opprimés. Biram Dah Abeid incarne l’espoir d’une
Mauritanie libérée de l’injustice, où l’unité et l’égalité prévaudront sur la division et l’oppression. À
l’heure où le pays se trouve à un carrefour critique, son message résonne comme un appel urgent à
l’action, tant pour les Mauritaniens que pour la communauté internationale